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dimanche 10 mars 2013

Nouvelle : Vache et voyante,

                   Nouvelle et conte du Moyen Atlas :
                                 Vache et voyante.

   Mon feu oncle se fit voler une vache, la nuit, de sa modeste écurie, dans un village lointain.
Des amis à lui, lui conseillèrent la consultation d'une célèbre voyante, à Fès, prénommée : Kharboucha.
   Celle-ci était d'une notoriété quasi nationale, puisqu'on disait d'elle qu'elle jouissait de certains privilèges de la part des autorités locales et des services de la gendarmerie royale à qui elle rendait toujours service quand les gendarmes venaient la trouver pour lui demander son concours afin d'élucider quelques affaires compliquées ou certaines de leurs enquêtes insurmontables !

   Enfin, accompagné de sa femme, "Khalti", mon oncle prit le car, un bon matin. Il arriva chez nous pour les raccompagner chez la dite cartomancienne à Dokkarate. Ce qui fut fait.

   À la maison de celle-ci, il y avait une salle d'attente avec une grosse femme "négresse", servant de secrétaire d'accueil. La consultation durait cinq à sept minutes sous forme de questions/réponses et le jeu de cartes faisait le reste. Surtout que celui-ci ( le jeu de cartes) avait droit au rituel parfum exotique et sacré qui emplissait l'air de la petite pièce retirée qui servait de bureau de la voyante. Cela donnait à l'instant toute sa sacralité, une ambiance presque religieuse : de l'ambre, du jasmin et de l'encens censé provenir directement de la Mecque.

   À la fin de la visite, mon oncle n'hésita pas à payer les deux cent dirhams que coûtait cette séance de prédiction. Pour des informations qui restèrent toujours ambiguës :

  < - La vache devait être volée par un certain Abdellah ou Ahmed ou Aïssa ou Moussa.>
  < - Qu'elle serait retrouvée, en cinq jours ou cinq souks ou cinq mois ou cinq ans !! >

   Avant leur retour au Bled, Khalti, qui avait beaucoup de foi, était toute radieuse. Elle ne cessait de louer le dit "professionnalisme" de la fameuse voyante. Quant à mon oncle, il avait le visage déteint de toutes les couleurs de joie ou de bonheur. Il ruminait un certain ressentiment et son silence en disait long, pour la duperie dont il fut victime :

 <- Une vache de perdue et de l'argent jeté par la fenêtre, voilà pour la visite inopportune à Fass, la cité de Moulay Driss, que Dieu nous donne de sa "Baraka" !!! >

   Sur le visage de mon oncle, je voyais se creuser déjà d'autres rides, en plus de celles des multiples soucis quotidiens de la vie à la campagne.

    Un mois après, on m'apprit que la vache volée devait être vendue à un boucher du coin, chose si fréquente, en de telles circonstances, et que tous les habitants du village ou ceux qui venaient au souk, des Aït Aàziza, en achetèrent, au moins une livre ! Sans se soucier le moindre du monde de sa provenance.

    En toute probabilité, mon feu oncle, qui faisait, comme à l'accoutumée, le souk du Jeudi des Zayans de M'rirt, en en revenant, le soir tombant, chez lui, à Souk El Had Oued Ifrane, devait acheter, lui-même, chez le même boucher, deux livres et demi - peut-être même de la viande de la vache volée, sans s'en rendre compte! Il ne pouvait se l'imaginer, loin en fallait, encore moins, se soucier de le savoir. Dieu est grand !


                  AGHZAF Abdelmalek, le 21/01/1981, à Fès.
                                Réédité, le 24/02/2013, Fès.
                                                                                  Hommage à feu mon oncle et à Khalti Batti.

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