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vendredi 4 avril 2014

Nouvelle inédite : l'enfant et le violon

NOUVELLE INÉDITE :


L'enfant et le violon




La grande salle des fêtes de l'observatoire de musique était archi comble. Il y avait autant d'apprenants que d'amateurs et de connaisseurs.
Le maître formateur se rendit compte, en quelques minutes, avant le récital, de son passé, quand il était encore un enfant, du long parcours qu'il devait suivre avant de devenir ce qu'il fut à présent : Maître de violon incontesté au conservatoire.
D'abord ce fut sa vocation, depuis son jeune âge, ensuite l'école normale supérieure des arts et enfin professeur de violon qu'il était devenu. Toujours est-il qu'il continuait ses études supérieures à l'école des beaux arts à Tanger, pour enfin décrocher son master ou même avec un peu de chance son doctorat es musique orientale.
Au bled, il n'y avait qu'une école très rustique où on devait recevoir les quelques cours élémentaires d'un savoir trop compliqué de la part de quelques instituteurs pas toujours présents là à cause d'un absentéisme volontaire ou involontaire
Moha passa tout son temps à jouer, à gambader de par les champs couvrant toutes les collines aux alentours des quelques maisons constituant leur "Douar" hameau.
Le jour où il découvrit, chez son oncle maternel le fameux instrument produisant des sons de musique locale : Le Violon. Ce fut pour lui le grand jour et même le grand changement de sa vie.
Il décida d'en fabriquer un, proprement à lui. À l'aide d'un bidon à huile de moteur vide, de cordes des poils de queue de la jument de son grand père et de la résine de la sève de quelques sapins des environs.
Sa trouvaille fut pour lui un succès, alors que pour sa mère cela ne signifiait qu'une déroute et une voie vers la débauche contrairement à l'ambition familiale : aller à l'école, faire des études pour devenir plus tard Caïd ou Avocat ou juge. Là, maintenant, avec cet instrument/jouet auquel Moha consacrait tout son temps le jour comme la nuit (dans ses rêves), le souhait de la chère maman allait s'évaporer comme par enchantement !
- Quoi ? Devenir "Cheikh" (entendez : artiste, musicien, chanteur populaire !), allant de fête en fête présenter ses numéros, en compagnie de femmes d'une certaine moralité ? Non, quelle risée allons-nous devenir aux yeux des gens du hameau ? !
Personne en la famille de Moha ne pouvait, ni ne voulait comprendre l'importance de cet instrument : le violon, à l'état primitif, tel qu'il l'avait fabriqué ! On ne devait pas le prendre au sérieux.
Des années passèrent et tout le monde dans la famille de Moha commençait peu à peu à comprendre l'importance et le sens de cet apprentissage artistique qu'on ignorait jusqu'alors, qu'on n'appréciait guère.
Dans les esprits, les choses n'allaient pas si vite. Il fallait être patient et rester passionné avec opiniâtreté. Une vocation, ça se vit, ça mûrit, ça prend le temps qu'il faut !
Il lui fallait donner du temps au temps !
Quand il était à l'école normale supérieure, il ne pouvait dire à sa famille les études qu'il poursuivait ni ce qu'il allait devenir sinon professeur.
Il savait que parler à sa mère ou à son père du violon, de la musique comme étant ses études, allait lui attirer la malédiction des parents et ce n'était pas son désir.
Une fois devenu professeur de l'éducation artistique dans un établissement scolaire de l'État, lui permit enfin de parler avec assurance de sa vocation comme étant un vrai métier, rémunéré, comme tout un fonctionnaire du ministère de l'enseignement.
Sa mère, son père, les habitants du "Douar" allaient maintenant approuver ce choix !
On était bien loin des centres urbains : des villes, de la civilisation, de l'éducation artistique, de l'appréciation de la bonne musique (classique ou orientale), nourriture de l'âme !
Personne dans ces hameaux ne pouvait avoir à l'esprit qu'il suffisait d'apprendre à jouer d'un instrument de musique : piano, flûte, luth ou violon pour accéder à des valeurs humaines si hautes ou donner image d'une grande âme, d'un penchant vers un des sept arts appréciés par les grandes cultures et les grandes civilisations, que la musique pourrait élever son maître au rang des personnes notoires, célèbres, respectées voire riches moralement et matériellement.
À la campagne, la vie était dure. Le travail de la terre ou l'élevage exigeait une force de muscles et de caractère aussi bien chez l'homme que chez la femme. La musique était celle du labeur continu pour vivre. Le chant et la musique étaient relégués au deuxième rang. Ils étaient une affaire de troubadours, de gitans, de tziganes, libertins pour la plupart, détachés de la terre, n'avaient et ne pouvaient avoir de responsabilité familiale.
On ne pouvait alors voir d'un bon œil ni imaginer un membre de sa famille devenir "Cheikh" (musicien/chanteur), encore moins une jeune fille s'intéresser plus à ce jeu d'instruments de musique et délaisser son rôle naturel et ancestral de se marier, d'enfanter, de s'occuper de son mari, de son foyer, de sa terre et de ses animaux de la ferme.
Il fallait aller vivre en ville : la cité/civilisation, de l'ancien grec : civitas. Là où les arts prospéraient, s'appréciaient et constituaient en quelque sorte une composante essentielle de l'essor d'une culture et de sa prospérité.
On continuait toujours de croire en cette fable : "La cigale et la fourmi" et on en perpétuait la morale dans l'éducation, de génération en génération.
Le destin allait changer la mentalité. Moha commença à faire comprendre à sa mère, maintenant qu'il était devenu professeur de musique, que l'art, comme toute autre matière du savoir humain, pouvait faire vivre son homme et le faire respecter.
Elle finit par comprendre et n'hésita nullement à exhorter son plus jeune garçon et sa plus jeune fille à regagner l'observatoire de musique de la ville de Tétouan afin de suivre la voie de leur frère aîné.
Plus encore, le jour où Moha vint annoncer à sa mère qu'enfin il trouva celle qui allait devenir son épouse parmi ses propres élèves au conservatoire, qu'elle aussi aimait jouer du violon, en plus, elle était professeur de langue. Elle ne s'y opposa guère. Au contraire, elle le félicita et lui demanda de la lui présenter, les jours suivants. Elle bénit leur liaison artistique et matrimoniale.
Elle finit par louer le bon Dieu pour avoir assuré l'avenir de son fils de son vivant !
Voilà que Moha se voyait réussir à faire aimer l'art de jouer du violon dans un milieu rural. Là où le système éducatif et les programmes scolaires figés échouaient à ouvrir les esprits et à faire apprécier les arts qui, jusque-là, ne se développaient qu'en ville : berceau des beaux arts !


ABDELMALEK AGHZAF

Ksar El-Kébir, le 02/04/2014.






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